Tu marches le long des trottoirs, tu regardes dans les caniveaux, dans l'espace plus ou moins large qui sépare les voitures garées du rebord de la chaussée.
Tu y trouve des billes, des petits ressorts, des anneaux, des pièces de monnaie, des gants parfois,
un portefeuille un jour, avec un peu d'argent, des lettres, des photos qui t'ont presque tiré les larmes des yeux.
Tu regardes les joueurs de cartes dans les jardins du Luxembourg, les grandes eaux du Palais de Chaillot,
tu vas au Louvre le dimanche, traversant sans t'arrêter toutes les salles, te postant pour finir près d'un unique tableau ou d'un unique objet :
le portrait incroyablement énergique d'un homme de la Renaissance, avec une toute petite cicatrice au-dessus de la lèvre supérieure,
à gauche, c'est à dire à gauche pour lui, à droite pour toi, ou bien une pierre gravée, une petite cuiller égyptienne devant laquelle tu restes
une heure, deux heures avant de repartir sans te retourner.
Marche incessante, inlassable. Tu marches comme un homme qui porterait d'invisibles valises, tu marches comme un homme qui suivrait son ombre.
Marche d'aveugle, de somnambule, tu avances d'un pas mécanique, interminablement, jusqu'à oublier que tu marches.
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